Profession : animal de laboratoire, Audrey Jougla
7 avril 2016Audrey Jougla a répondu à l’appel de Sentience Rennes et du CRPEA pour venir parler de la condition des animaux utilisés pour la recherche, lors d’une conférence qui s’est tenue le mercredi 6 avril 2016. Infiltrée pendant un an et demi dans un laboratoire, Audrey Jougla a souhaité confronter sa vision des choses à la réalité, si bien cachée…
L’expérimentation animale, une question de société
Avant tout, elle nous a rappelé que l’expérimentation animale n’est pas qu’une question technique, scientifique. Il est souvent opposé aux défenseurs des animaux que ces questions touchant à un certain domaine d’expertise, il n’est pas possible de donner son avis sans être du milieu.
Pourtant, l’expérimentation animale est aussi une question qui touche à la morale, et donc à un choix de société. C’est pour cela qu’en tant que cityoyen-ne, chacun-e a son mot à dire.
Pourtant, c’est un sujet qui reste bien gardé, et pour lequel il est difficile d’avoir des informations. L’on sait que chaque année, 11,5 millions d’animaux sont utilisés dans les laboratoires de l’Union Européenne, dont 2,2 millions en France. On sait également que la grande majorité des animaux sont des rongeurs (souris et rats), mais on sait moins que toutes les espèces animales peuvent être utilisées. Enfin, les domaines de recherche comportent des intitulés opaques : enseignement de biologie et médecine, toxicologie, recherche appliquée, recherche fondamentale. La recherche fondamentale concerne 46% des animaux utilisés dans les laboratoires.
L’infiltration d’Audrey Jougla nous permet d’avancer une réflexion sur ce qui justifie encore aujourd’hui l’expérimentation animale…
Les 10 préjugés sur l’expérimentation animale
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On ne peut pas faire autrement
En vérité, il existe de nombreuses méthodes de recherche n’impliquant pas les animaux (ex vivo ; in silico ; 3D in vitro ; in vitro ; organes sur puces ; micro-organes). Celles-ci sont largement sous-exploitées.
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Si des alternatives existent, alors pourquoi on continue ?
Tout d’abord, la formation des chercheurs laisse peu de place à la nouveauté et les incite fortement à privilégier le modèle animal dans la recherche. Ensuite, en recherche fondamentale, il y a un besoin de publier très important, qui implique des recherches sur les animaux, les commandite. Il y a une forte aversion au changement dans le milieu de la recherche. Enfin, les méthodes de recherche n’impliquant pas les animaux ne reçoivent pas de subventions ; il s’agit alors de faire les mêmes preuves, sans les mêmes moyens…
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Cesser les expériences sur les animaux c’est s’opposer au progrès de la recherche.
Ce n’est pas parce que l’on est contre l’expérimentation animale, que l’on est contre les avancées scientifiques. Quand bien même la recherche ne progresserait pas, de quel droit faisons-nous subir toutes ces tortures aux animaux ?
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C’est nécessaire à la santé humaine
Dans le secteur, on a tendance à faire la promotion des recherches qui ont été efficaces grâce à l’utilisation d’animaux. On entend beaucoup moins parler des désastres sanitaires dont l’expérimentation animale est à l’origine. Certaines découvertes présentées comme telles ne sont pas réellement dues à l’utilisation d’animaux. Et certaines substances, telle que l’aspirine, ne passeraient jamais les tests car mal tolérées par les animaux.
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Vous voulez qu’on expérimente sur les humains ?
Pas vraiment… en vérité, on expérimente déjà sur les humains, dans les essais cliniques rémunéré, ou lors de protocoles expérimentaux menés directement auprès de malades volontaires. Mais il n’y a pas lieu de toujours opposer humains et animaux, ce n’est pas soit l’un, soit l’autre…
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Les animaux dans les laboratoires sont de toute façon bien traités !
Les sociétés qui travaillent avec les laboratoires présentent sur leurs sites des images très positives de l’expérimentation animale, allant même pour certaines jusqu’à proposer une vision de l’animal étant lui-même volontaire et heureux de participer à l’expérimentation.
En vérité, dans les laboratoires, les animaux ne sont pas si beaux à voir. Déjà, ils vivent des conditions carcérales, et doivent supporter, en plus de l’enfermement, un bruit permanent (cris, métal des cages et objets…). L’autre réalité, bien évidente, c’est que ce sont des animaux rendus malades, ou fous, qui doivent supporter tout un tas de protocoles de maladies très lourdes. Ce ne sont pas des animaux en pleine forme.
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Il y a des comités d’éthique qui valident les protocoles expérimentaux
Cela est obligatoire depuis la loi de 2010, applicable en 2013 dans l’UE. Cependant, certains travaux commencent avant l’aval du comité d’éthique, et de fait, il y a très peu de refus de la part du comité d’éthique. Un autre biais important est la présence de chercheurs ayant des intérêts à la recherche dans le comité d’éthique. S’ils sont juge et partie, le comité n’a pas vraiment de pouvoir.
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Si la législation se fait plus contraignante, les expérimentations se feront ailleurs…
Ce type de raisonnement est valable pour quasiment toutes les questions de société. Il s’agirait donc de remettre en question tout progrès du droit. C’est une erreur de raisonnement complétement incompatible avec l’idée de démocratie.
De plus, on observe plutôt un effet incitateur des pays avancés en matière de droit social.
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Pour les maladies qui nécessitent des organismes vivants entiers, on arrête toute recherche ?
Comment peut-on prétendre qu’il n’est absolument pas possible de faire autrement ? De plus, quand bien même la question se poserait réellement, nous n’en sommes pas là aujourd’hui, puisqu’il y a déjà plein de méthodes n’impliquant pas les animaux qui sont connues et non exploitées.
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Seuls les scientifiques peuvent juger de la nécessité de l’expérimentation animale
On ne peut pas débattre de questions de société qu’avec des personnes qui sont directement impliquées. Le débat n’est pas QUE scientifique, il est aussi d’ordre moral, et donc concerne tou-te-s les citoyen-ne-s.
Les 10 questions que l’on ne pose jamais….
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En fait, on ne parle jamais des effets secondaires et de tous les impacts nocifs de certains médicaments mis sur le marché. L’expérimentation animale ne serait-elle pas un modèle « faute de mieux » ?
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Quelle proportion des recherches concerne le cancer, si souvent invoqué pour justifier l’utilisation des animaux dans les laboratoires ?
Entre 3 et 8% des recherches seulement. La recherche sur les cancers pédiatriques, par exemple, n’est pas intéressante financièrement.
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Pourquoi les laboratoires travaillent-ils plus sur certaines maladies que d’autres ?
Il y a un intérêt financier derrière le sujet de recherche. Il est plus intéressant pour les laboratoires pharmaceutiques de développer des traitements qui devront être pris à vie que de développer des traitements qui guériront définitivement les patients.
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Pourquoi ne parle-t-on jamais des expériences menées dans un intérêt commercial et qui n’apportent aucun « mieux-être » à la société ?
Là encore, il y a un intérêt financier sous-jacent. Dans l’industrie pharmaceutique aussi, la nouveauté est importante. Et il faut couvrir le fait que certains médicaments tombent dans le domaine public et sont remplacés par des génériques.
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Pourquoi les résultats des expérimentations animales ne sont pas mutualisés comme c’est le cas dans les recherches cliniques (sur des humains) ?
C’est une aberration de savoir que deux expériences identiques impliquant des protocoles lourds pour les animaux peuvent être menées par deux laboratoires différents. Les résultats de ces expériences ne sont pas mutualisés, car la recherche répond dans ce cas à une logique de concurrence et compétitivité.
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Depuis 2013, les primates ne peuvent subir que des expériences « strictement nécessaires à la santé humaine », donc il y a bien des expériences inutiles ?
Cette reconnaissance est un aveu de l’inutilité de certaines expériences. Pourquoi cette restriction légale ne s’applique-t-elle pas à tous les animaux ?
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Puisque les grands singes sont épargnés en UE (interdiction de les utiliser en recherche) parce qu’ils sont trop proches des humains, n’est-ce pas aussi l’aveu que l’expérimentation animale est immorale ?
Il y a en vérité un grand consensus sur le fait que l’expérimentation animale cause une grande souffrance aux animaux. Cependant, on invoque toujours la question de l’utilité…
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Puisqu’on peut faire des expériences psychologiques sur les animaux, cela veut bien dire qu’il y a la même souffrance psychologique ?
Il y a beaucoup de recherches de ce type en recherche fondamentale, notamment sur la dépression. Audrey Jougla ne peut définir les laboratoires de recherche fondamentale autrement que sous le terme de « musée des horreurs »…
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Sur quel principe repose en fait l’expérimentation animale ?
Il faut que les sujets nous ressemblent pour valider les expériences, mais pas trop, sinon cela devient immoral… Les expérimentations médicales ont été faites sur les prostituées, les homosexuels, les noirs, les juifs… L’expérimenté est toujours quelqu’un de jugé inférieur.
Deux voies alors : soit les animaux ne nous sont pas inférieurs, et nous devrions cesser. Soit ils le sont, et nous aurions alors un devoir de protection à leur égard : c’est comme ça que fonctionne la société, elle vise à empêcher la loi du plus fort et à protéger les plus vulnérables.
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Et si c’était vous ?
On trouve toujours plein de justifications à l’expérimentation animale… ils sont nés pour ça, il faut bien sauver les enfants, et si c’est vous qui étiez malade… Dans les laboratoires, chacun-e se renvoie la responsabilité, « moi je ne fais que nettoyer », « je n’expérimente pas, je dirige le laboratoire », « je mène ces expériences pour la société, c’est quelque chose que personne ne veut faire ». Il n’y a jamais d’empathie, l’animal est considéré comme pur matériel de laboratoire.
Un grand merci à Audrey Jougla pour sa venue, et son courage lors de cette enquête. Son livre est disponible à la vente (http://www.animaldelaboratoire.com/).
Et merci à Sentience Rennes pour l’organisation.